Les Doléances ouvertes à tous les citoyens en 2019 ont été déposées en mairies après la crise des gilets jaunes en France. Nombre de chercheurs et autres se sont questionnés sur le destin de ces Doléances. Un groupe d’experts a fondé un site « Rendez les doléances » (1) afin de questionner et d’informer sur le séquestre de ces données.
Une étude qualitative IPSE
Entendre ces sanglots avant qu’on disparaisse
Pourquoi explorer ces Doléances de citoyens ?
Notre groupe de recherche qualitative, revendique de créer de la connaissance à partir des expériences vécues dans la vie quotidienne, en s’appuyant sur une nouvelle méthode que nous avons élaborée et publiée IPSE (2) (Inductive Process to analyse the Structure of lived Expérience) ; aussi, en tant que soignants, comment ne pas s’intéresser à des Doléances, du latin dolere (« souffrir ») ; en tant que citoyens, comment ne pas s’intéresser à une parole qui a été donnée pour être finalement volée. C’était pour notre groupe une évidence éthique que d’explorer ces paroles de citoyens, d’en être les portes paroles et de restituer leurs voix au travers de cette étude. Il nous parait par ailleurs essentiel et pédagogique de montrer que l’exploration approfondie d’expériences vécues par cette approche qualitative IPSE fait émerger des données nouvelles, solides qui sont différentes et complémentaires de données statistiques (sondages d’opinion) trop superficielles, issues d’une approche quantitative. Il s’agit aussi pour notre groupe d’un engagement démocratique, au travers de l’exploration des expériences vécues en étant au plus près des ressentis de nos concitoyens, afin de construire des propositions politiques à partir de ce savoir experientiel. On pourrait dire que cette démarche est un réel engagement participatif pour une vraie démocratie. Il s’agit ici de concilier les enjeux de cette rencontre singulière entre des sujets sensibles et pensants, avec la notion d’efficacité politique qui donnerait des réponses au plus grand nombre des citoyens.
Les méthodes qualitatives sont des approches de choix pour l’exploration des Doléances. Elles sont utilisées dans les sciences humaines, en psychologie, en sciences infirmières, chacune avec leurs corpus théoriques, leur manière de faire et leurs objectifs. Chacune a son prisme choisi pour appréhender l’expérience humaine. Notre équipe de recherche IPSE et sa pensée s’inscrit dans une méthode de recherche qualitative d’inspiration phénoménologique qui vise à l’exploration approfondie détaillée et structurée de l’expérience des sujets ; nous nous intéressons a ce « que les gens disent de ce qu’ils vivent, à un autre (chercheur.e) »
Cette méthode IPSE (2) a été pensée pour les besoins de la recherche avec l’idée d’explorer et de rapporter la valeur de l’expérience vécue des participants, quel que soit la question posée dans les disciplines médico-sociales. L’orientation centrale de notre méthode sur l’exploration de l’expérience vécue se trouve être un atout scientifique majeur pour l’étude d’un matériel écrit (les Doléances), les participants faisant le récit de leur vie au quotidien .
Les Doléances peuvent se décliner en 3 axes, la question de la plainte, celle de la souffrance et celle de faire reconnaitre un préjudice ; ces trois aspects sont racontés par les auteurs de ces textes, à partir de leur vie, celle qu’ils ont, celle dont ils rêvent, ancrée dans un quotidien qui est le cœur même de l’appréhension de l’expérience. Les cahiers de Doléances datent de la révolution française, donc il y a l’idée de quelque chose de la vie qui doit changer ; mais pour savoir ce qui doit changer il faut entendre, lire, comprendre ce qu’est la vie des auteurs au plus près de leur expérience. Ce travail énoncé par le gouvernement actuel en place n’a, dans les faits, pas été réalisé. Les Doléances sont restées lettres mortes.
Redonner toute sa valeur à « la parole d’expérience » (3) se trouve au cœur de l’utilisation et du développement actuel des méthodes qualitatives. La recherche qualitative est ancrée dans la réalité du quotidien, dans une dimension subjective et intersubjective qui colore le processus et peut permettre aussi un dialogue et une meilleure articulation entre chercheurs et politiques.
Méthode
Comment explorer les Doléances ? Notre méthode IPSE (Inductive Process to analyse the Structure of lived Expérience)
Notre groupe de recherche incluant des médecins, psychologues a développé une expertise dans l’exploration de questions complexes concernant l’expérience vécue, en particulier dans le domaine de la santé (4-6) Cette expertise nous a conduit, après une réflexion approfondie sur les approches qualitatives, à structurer notre propre méthode dédiée au champ de la recherche, la méthode IPSE, qui s’inscrit dans un paradigme constructiviste (7,8) et une approche phénoménologique descriptive (9,10). La connaissance est conçue comme une co-construction émanant de la rencontre entre le chercheur et le récit (oral, écrit) du participant (7,8), et sa production repose sur (i) la subjectivité, espace de construction de la réalité humaine, (ii) l’intersubjectivité, stratégie pour parvenir à une connaissance de la réalité humaine, (iii) la vie quotidienne, lieu où la réalité humaine prend place.
IPSE repose sur 2 piliers, le processus inductif -la procédure est exploratoire et aucune hypothèse de recherche n’est formulée à priori– et l’analyse de la structure d’expérience vécue. Le point de départ d’une recherche IPSE est toujours un territoire à explorer, une question sans réponse. L’objectif principal est de produire les axes centraux d’une expérience, afin de proposer des améliorations concrètes concernant la vie des participants. Ici, à propos des Doléances, il s’agit de les explorer de manière approfondie afin de proposer une réflexion politique à partir des données.
L’approche IPSE comporte cinq étapes qui structurent l’ensemble du processus de recherche (Annexe) : 1) Constitution d’un groupe de recherche, 2) S’assurer de l’originalité de l’étude, 3) Recrutement et échantillonnage, viser l’exemplarité (11-13), 4), Recueil des données, accès à l’expérience, 5) Analyse des données (verbatim des récits)
Dans l’étude qui nous intéresse ici, notre équipe a mené une première étude exploratoire du matériel écrit, les Doléances. Elle sera suivie d’une étude d’entretiens retranscrits de 20 citoyens ayant déposé des Doléances. Cette étude des Doléances écrites constitue une étude pilote afin de dégager des aires d’exploration pour la phase suivante
Notre équipe de recherche, dans un 1er temps, a organisé une réunion avec des membres de l’association «Rendez les Doléances» afin de réfléchir à la question de recherche qui est apparue évidente : Que disent profondément ces Doléances au plus près des participants ? En d’autres termes, l’objectif était d’identifier les axes centraux d’expérience des Doléances déposées par des concitoyens. La question n’était pas de répertorier les thèmes de ces Doléances (écologie, immigration, pouvoir d’achat, etc) à la manière d’un programme politique, mais plutôt d’explorer le fond d’écran « la boite noire » (14) de ces Doléances. Le matériel a été collecté à partir de deux sources de données :
L’association Rendez les doléances, et le site Les Jours (15), groupe de journalistes indépendants, ayant publié chaque jour, à partir du 1er Aout 2021, une Doléance.
Dans une phase pilote, les membres de notre groupe ont analysé, individuellement 10 Doléances afin de se familiariser avec ce type de textes. Ensuite, 90 textes ont été explorés, au total. Cet effectif de 90 a été déterminé selon le principe de la saturation des données, à savoir que l’analyse des verbatim n’apportait plus de nouvelles données. Le verbatim de ces Doléances était in extenso, sans aucune modification sémantique. Aucune donnée liée à l’identité, à l’origine sociodémographique, géographique des participants n’était accessible, les textes étaient totalement anonymisés. La longueur des textes étaient très variables, de quelques lignes à plusieurs pages
A l’étape 5 d’IPSE, l’analyse des récits a été effectuée par 6 chercheurs de notre groupe qui ont tou.te.s lu les 90 Doléances. Lors de la phase individuelle descriptive, chaque chercheur a analysé 15 Doléances, avec pour chaque texte, 3 lectures et une 4ème lecture avec prise de note, puis le découpage en unités descriptives, regroupées ensuite en catégories. Une analyse transversale des catégories était réalisée tous les 5 entretiens, par chaque chercheur. La phase groupale de mise en commun des catégories s’est décomposée en trois réunions (tous les 5 entretiens) afin de déterminer les axes centraux d’expérience suivie d’une réunion de mise en forme des résultats et de restitution à 5 citoyens ayant déposé des Doléances, différents du groupe étudié.
Résultats de l’étude sur les Doléances
A partir du processus IPSE, trois axes centraux d’expérience ont été mis en évidence : 1) Les décisions politiques qui me précarisent et me rendent vulnérable, 2) Les décisions politiques qui déterminent la valeur de mon existence, 3) Je redonne de la valeur à mon existence : faire groupe
- Les décisions politiques qui me précarisent et me rendent vulnérable
a/ Je ne peux plus vivre
« Certains gilets jaunes choisissent entre manger, se chauffer ou faire le plein de gasoil ». « Comment vivre avec cette aumône ? »
« Monsieur le Président Regardez autour de vous, les Français ne peuvent plus se soigner se nourrir se loger »
b/ Je survis
« Je ne vis plus je survie (…) les intermédiaires se gavent sur notre dos »
« Les mères délaissées comme moi ont deux choix, ou souffrir en silence jusqu’à en mourir, ou aller se vendre, oui se vendre »
« Une vie de privations ! Vous parlez d’une vie ! »
- Les décisions politiques qui déterminent la valeur de mon existence
a/ Je ne vaux rien, Je n’existe pas
« On est de la merde »
« Je n’ai pas le droit d’exister, nous dont la vie n’a aucune valeur »
« Mais voilà nous ne sommes rien et nous ne comprenons rien »
«On passe à la trappe »
«On est comme des esclaves »
« Marche et tais toi ! »
« Ma lettre ne servira à rien, mais me soulager à l’instant de l’écrire »
« Entendre ces sanglots avant qu’on disparaisse »
« Voulez vous que l’un d’entre nous meurt pour que vous comprenez à quel point on se sent abandonné ? »
b/ Ils valent beaucoup, Ils existent
« Il y a toujours les nobles et les serfs (la taille, la gabelle, la dîme, la corvée) ce que je veux dire c’est que c’est toujours les riches qui s’enrichissent et le peuple qui paye »
« Comment parler d’égalité quand il faut six vies à un smicard pour gagner ce que d’autres gagnent en 1h »
« Faire des efforts, j’y contribue, mais ce sont toujours les mêmes qui sont concernés par ces efforts, et aujourd’hui la Coupe est pleine »
- Je redonne de la valeur à ma propre existence : faire groupe
Ce groupe se caractérise par :
a/ L’affirmation de soi par le groupe : l’existence de Je au travers de Nous
« Alors oui, je soutiens les gilets jaunes qui défendent les intérêts de tout votre peuple »
« Je me sens humiliée par ce gouvernement qui ne nous aime pas »
«J’ai beaucoup traversé la rue et je ne vois aucune embauche pour nos jeunes. Peut-être du fait que j’habite face au cimetière ? »
« J’en ai terminé pour aujourd’hui en espérant que mes propositions ne seront pas archivées au titre d’utopies irresponsables ! »
« Faire en sorte que tous ceux qui sont dégoûtés de la politique et se sentent impuissants aient la sensation d’être à nouveau écouter et capables d’avoir prise sur leur vie »
b/ Le cri : La protestation et la revendication venant traduire une envie d’exister, de re-vivre en tant que Je et Nous
« Comme beaucoup de mes concitoyens, je suis indigné par la disparité des revenus et des situations et le fossé, que dis-je, l’abîme qui s’est creusé entre les plus riches et les plus pauvres »
« Nous voulons juste vivre correctement »
« Votre peuple souffre, les actifs, les retraités, les malades, les personnes en situation de handicap, les chômeurs, les SDF… »
«Dites à vos sbires de ne plus insulter et mépriser les gilets jaunes : certains gilets jaunes choisissent entre manger, se chauffer ou faire le plein de gasoil »
c/ Sentiments de colère, de révolte. Projection de haine sur d’autres groupes
La minorité privilégiée
« Ne pas privilégier toujours les mêmes, ceux qui se gavent qui en redemandent encore et encore »
« N’est-elle pas belle la vie, la retraite de nos politicards français. Après cela, (….).la révolte qui gronde (……) moi je trouve qu’elle n’est pas assez virulente »
« Je crie : J’en ai marre d’être francaise »
« Personnellement je suis en colère! »
La minorité des étrangers
« L’immigration a détruit ma vie depuis 40 ans, transformant le paradis en enfer. »
« Arrêtez l’immigration qui est une certaine forme d’esclavage moderne qui coûte plus cher qu’elle ne rapporte. Supprimez les avantages consentis aux exilés qui fuient leur patrie au détriment de ceux qui ont servi la France. »
« Moins de migrants »
« Chaque immigré devra passer un entretien individuel [……] Toute personne ne pouvant s’exprimer de façon intelligible en français et refusant d’apprendre devra être expulsée sans délais ni recours. »
Lors de la phase de restitution de nos résultats à 5 sujets ayant formulé des Doléances, mais differents de ceux pour lesquels l’étude a eu lieu, tous se sont reconnus dans les résultats en formulant « c’est exactement ce que je voulais dire, mais je ne l’avais exprimé comme ça »
Selon P. Rosanvallon (14), Les Epreuves de la vie « Pour comprendre l’état réel de la société, le regard des citoyens sur la classe dirigeante, il faut oublier les statistiques et les sondages, et décrypter la boîte noire du ressenti quotidien ». C’est précisément le processus de notre approche qualitative IPSE, qui décrypte ici le fond d’écran et met en perspective ce que disent les Doléances de concitoyens, par une analyse approfondie et structurée du verbatim qui apporte des données nouvelles. Notre méthode a été élaborée dans le but d’explorer les ressentis des sujets au plus près de leur réalité. Dans notre approche, il n’y a pas de processus mathématique aboutissant à des données statistiques qui raisonnent sur un sujet moyen, soit dit en passant, qui n’existe pas dans la vraie vie. Nous sommes de fait, très loin de la superficialité des sondages d’opinions, qui nourrissent les politiques et la presse pour échafauder des scenari de science-fiction. Nos données sont issues de l’exploration scientifique de la vraie vie des gens.
Notre étude montre qu’une majorité de Doléances exprime combien et à quel point, les décisions politiques déterminent les fondements même de l’existence pour une partie des citoyens. Cette itération sans fin des décisions politiques fait vivre à ces citoyens une expérience radicale, un effondrement vital avec point de non-retour. Elles font vivre une vraie tragédie existentielle. Ils n’ont pas « simplement » et terriblement perdu la capacité à pouvoir vivre mais c’est la perception de l’existence même qui a été détruite, dans l’intériorisation d’un état de fait, d’une certitude indépassable, leur vie ne vaut rien, ce qu’ils ont fait de leur vie ne vaut rien. Cet état va au-delà de ce que Rosanvallon (14) nomme les épreuves de la vie. Les décisions politiques leur ont retiré les moyens de leur subsistance et cet appauvrissement les plongent dans une vulnérabilité et une précarité. Chaque décision politique vient renforcer le sentiment d’être considéré comme quantité négligeable « des objets muets de la décision politique » D. Eribon (16).
Les décisions politiques vont bien au-delà de rendre ces concitoyens précaires et vulnérables. Il faut entendre la question de la valeur non comme une unité économique marchande, mais de comment l’autre me regarde, quel regard il porte sur moi, quelle valeur j’ai dans son regard, ma vie a-t-elle de la valeur à ses yeux ? Si cela n’a aucune valeur, je n’existe pas. Les conditions d’appauvrissement vont attaquer et fragiliser, les organismes, les biologies, leur contenu ; le sujet se dénutrit et son intériorité dépérit. Notre étude suggère qu’en plus de leur ôter leurs moyens de survie, ceux du pouvoir politique les désignent et les assignent à des sujets sans valeur existentielle. Il leur est dit par ce pouvoir, qu’ils ne sont rien, qu’ils ne valent rien. Le fond d’écran des Doléances exprime une véritable négation de l’existence pour ces citoyens se sentant une cible. C’est ce pouvoir qui détermine ceux dont la vie a de la valeur ou pas. La décision politique édicte les règles qui, à la fois rendent pauvres, vulnérables et déterminent la valeur du sujet. Cette valeur de l’existence est une translation de la valeur économique du travail, qui est entendue dans les Doléances par « mon travail ne vaut rien, donc je ne suis rien ». On peut imaginer que cette identité assignée par translation de la valeur du travail est d’autant plus perçue comme vraie et intériorisée par les sujets, qu’ils ont été rendus vulnérables par leur souffrance et par des conditions économiques de survie. « On vous assèche et on vous achève » Ils sont à la fois ensevelis et anéantis. Dans ce travail, nous montrons, qu’au-delà de devenir précaires et vulnérables, c’est la décision politique qui déterminerait selon ses propres critères, et son propre agenda, la valeur de la vie des citoyens. J. Buttler (17) cite : «(…..) Une vie vivable est une vie que l’on mène en ayant le sentiment que sa valeur se reflète dans le monde économique et social où l’on vit (…)»
Au nom de quel principe, peut-on comprendre, penser que celles et ceux, la majorité ciblée, qui a travaillé toute sa vie n’a pas le droit d’exister (ne pas pouvoir se nourrir, ni se soigner, ni se loger à la retraite) alors que pour d’autres, la minorité privilégiée, quelques années au service des institutions (assemblée, sénat), suffisent pour s’assurer une retraite confortable jusqu’à la mort. Qu’est-ce que l’action politique pose comme regard sur l’existence de la majorité ? Un regard rempli de mépris ou pas de regard du tout. Vient à l’esprit “ Qu’est-ce qu’un cynique ? C’est un homme qui connaît le prix de tout et la valeur de rien » Oscar Wilde, L’Éventail de Lady Windermere. Le pouvoir politique serait-il cynique ?
Etant désignés et assignés à « ma vie ne vaut rien, je ne vaux rien », les sujets des Doléances font groupe, afin de trouver une existence, d’être en vie. Ce vécu de solitude se transforme en une certitude de ne pas être seul à vivre cette expérience, par la création d’un collectif. Le Je prend la parole au travers du Nous. En opposition à l’assignation, c’est le cri de la revendication bruyante d’une identité́ confisquée. C’est le cri désenclavé́ qui veut dire à la face du monde qu’on peut exister. Ceux qui expriment les Doléances sont à la marge de la vie, sont à la porte de la mort. Un peu comme l’évoquait Gérald Leblanc, L’extrême frontière, 1988, « La marge peut être considérée….comme une source de création,….étant constamment confronté à des discours qui remettent en cause sa légitimité et, dans certains cas, qui annoncent sa mort imminente. » Le cri, comme une réponse à une identité niée est celui d’une révolte, c’est celui d’une revendication assumée. Afin d’exister en tant que Je, chacun de cette majorité ciblée, « le Nous » s’accroche à ce groupe d’identification, manifeste (les gilets jaunes) et se raconte (les Doléances). Le Je au travers du Nous se trouve alors dans une position active en se faisant entendre (pour une fois) et en étant force de proposition. La structuration du Nous va ouvrir sur l’action et l’expression, sur un retour à J’existe. Le Nous donne la possibilité de revendiquer. Il exprime la colère et la révolte. Viennent-elles en réponse au vécu de la perte de son identité en tant que Je, et/ou correspondent elles à un sursaut de survie (ce qu’il en reste) ?
Comme les résultats de ce travail l’évoquent, cette révolte démultipliée par le groupe, en miroir, en ricochet de la violence subie, peut se métaboliser en haine. Elle prend la forme d’une attaque contre la minorité privilégiée mais aussi de propos racistes envers d’autres « minorités ». Nous pouvons parler de déplacement de la colère, « Les racistes sont des gens qui se trompent de colère » citation attribuée à L. Sédar Senghor.
Perspectives
Afin d’approfondir les résultats de cette étude pilote, exploratoire ayant permis de mettre en évidence des axes centraux d’expérience dans ce matériel écrit, nous allons poursuivre ce travail par une étude qualitative IPSE explorant le vécu d’expérience de citoyens ayant déposés des Doléances, par des entretiens semi-ouverts. Ils seront structurés par les axes d’expérience que nous avons mis en évidence et permettront un récit d’expérience plus approfondi.
Pour aller au bout de notre méthode, les résultats de l’étude de ce matériel ouvriront sur des propositions concrètes, en termes d’axes politiques à déployer pour une majorité de concitoyens. L’idée réellement démocratique, participative est de penser, élaborer un programme politique à partir du vécu d’expérience dans la vraie vie des concitoyens, d’être au plus près d’eux, ce qui jusqu’à présent n’est proposé, ni porté par aucun parti politique, qui restent tous dans des postures incantatoires. Le projet de travailler à cette invention de nouveaux possibles.
Bibliographie
- « Rendez les doléances » : https://rendezlesdoleances.fr
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- Judith Butler : « Certains pensent être plus dignes d’être pleurés que d’autres »Publié le 21 mai 2021 à 08h00 – Mis à jour le 21 octobre 2021.Available : https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/05/21/judith-butler-certains-pensent-etre-plus-dignes-d-etre-pleures-que-d-autres_6080966_3232.html
Laurence Verneuil, MD, PhD1,2,5, Jordan Sibeoni MD, PhD1,3,5, Emilie Manolios1,4,5, Mado Vinez1,5, Jeanne Mathé1,5, Jean Pierre Meunier, MD5, Franck Baylé MD, PhD1,2, Anne Révah-Levy MD, PhD1,3,5
1ECSTRRA Team, UMR-1153, Inserm, Université de Paris, F-75010 Paris, France
2Pôle Précarité. GHU Paris psychiatrie & neurosciences. Sainte-Anne, 1 rue Cabanis
75014 Paris.
3Service Universitaire de Psychiatrie de l’Adolescent, Argenteuil Hospital Centre, 69 Rue du Lieutenant-Colonel Prud’hon, 95107 Argenteuil Cedex, France
4Service d’Immunologie-Infectiologie, APHP, Hôtel-Dieu, Paris
5Association IPSE : ipsea.fr